Baux commerciaux - Chronique de jurisprudence du premier semestre 2024
Le droit des baux commerciaux évolue perpétuellement à la faveur des décisions judiciaires qui apportent un éclairage particulièrement intéressant dans le cadre de la négociation et de la gestion des baux commerciaux.
Notre sélection des arrêts majeurs rendus par la Cour de cassation en matière de bail commercial pour la période du premier semestre 2024 est l’occasion de faire un point d’étape de l’actualité des baux commerciaux.
Les décisions rendues sur les thèmes classiques liés à la formation du bail commercial, ses modifications et sa résiliation sont riches d’enseignements utiles à l’actualisation des connaissances des équipes de nos clients investisseurs, gestionnaires, propriétaires et utilisateurs.
L’actualité de ce début d’année est notamment marquée par les décisions suivantes :
- Un congé avec offre de renouvellement à des conditions différentes du bail expiré (hors le loyer) vaut congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction (Cass. 3e civ., 11 janvier 2024, n°22-20.872) ;
- Dans le cadre d’un bail commercial avec loyer binaire, même en l’absence d'une clause expresse de recours au juge des loyers commerciaux, le juge doit rechercher dans le contrat ou les éléments extrinsèques la volonté commune de recours au juge des loyers (Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n°22-16.447).
CONGÉ
Un congé avec offre de renouvellement à des clauses et conditions différentes vaut refus de renouvellement
Un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 11 janvier 2024, n°22-20.872
CONVENTION D'OCCUPATION PRÉCAIRE
Une convention d'occupation précaire n'est pas un bail
Une convention d'occupation précaire n'étant pas un bail, l'occupant à titre précaire ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1719 C. civ. mettant à la charge du bailleur une obligation de délivrance des locaux loués, mais doit établir un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles.
Le propriétaire ne peut pas être condamné à indemniser l'occupant des préjudices consécutifs à un sinistre dans des locaux objet d'une convention d'occupation précaire, sur le fondement d'un manquement à une obligation de délivrance.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 11 janvier 2024, n°22-16.974
VALEUR LOCATIVE, LOYERS PLAFONNÉS ET DÉPLAFONNÉS
Incidence favorable et évolution notable des facteurs locaux de commercialité
La valeur locative est déterminée notamment au regard des facteurs locaux de commercialité, dont l'évolution notable au cours du bail à renouveler et jusqu'à la date d'effet du nouveau bail permet, si elle a une incidence favorable sur l'activité exercée dans les locaux loués, d'écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé et de le fixer selon la valeur locative.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 25 janvier 2024, n°22-21.006
RÉSILIATION DU BAIL
La mise en demeure préalable n'est pas toujours nécessaire à la résiliation
Les gestes déplacés du gérant du bailleur à l’égard des salariées du preneur de nature à porter atteinte à la jouissance paisible des locaux loués, constituent un comportement d’une gravité telle, qu’une mise en demeure préalable à la notification de la résiliation du bail, qui eut été vaine, n’était pas nécessaire.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 25 janvier 2024, n°22-16.583
La résiliation du bail ne constitue pas une faute du preneur
Ni la résiliation des baux, intervenue aux dates d'échéance de ceux-ci et conformément aux dispositions légales et aux stipulations contractuelles, ni la décision de la locataire de transférer son activité dans un autre établissement, ne sont fautives.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 29 février 2024, n°21-16.755
PROCÉDURE
Validité de la mise en demeure incluse dans le congé
La mise en demeure prévue par l'article L145-17 C. com. (refus de renouvellement pour motif grave et légitime) peut figurer dans le même acte que le refus de renouvellement (Cass. 3e civ., 16 décembre 1987, 86-16.189).
Rejet en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 25 janvier 2024, n°17-31.538
Procédure sur mémoire et saisine du juge des loyers
Le défaut de notification d'un mémoire avant la saisine du juge des loyers commerciaux donne lieu à une fin de non-recevoir (Cass. 3e civ., 3 juillet 2013, n°12-13.780) et cette situation n'est pas susceptible d'être régularisée par la notification d'un mémoire postérieurement à la remise au greffe d'une copie de l'assignation.
Rejet en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-22.301
COVID-19
Effet des mesures de lutte contre la crise sanitaire sur la clause de suspension du loyer
La clause de suspension du loyer, dont la clarté exclut toute interprétation, implique, à l'évidence, que le local lui-même soit affecté. Ainsi, les mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire ayant affecté, non les biens loués eux-mêmes, mais leurs seules conditions d'exploitation, l'obligation de payer le loyer n'est pas sérieusement contestable.
Rejet en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-17.620
TAXE FONCIÈRE
Incidence de la charge de la taxe foncière sur la valeur locative
Les obligations incombant normalement au bailleur telle que celle du paiement de la taxe foncière, dont celui-ci s'est déchargé sur le preneur, constituent un facteur de diminution de la valeur locative.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-24.268
DROIT COMMUN ET BAIL COMMERCIAL
Validité du bail de la chose d'autrui
Le bail de la chose d'autrui produit ses effets entre bailleur et preneur tant que celui-ci en a la jouissance paisible de la part du propriétaire à qui il est inopposable.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-21.219
DROIT DE PRÉFÉRENCE DU PRENEUR
La notification erronée par le notaire n'ouvre pas de droit de préférence légal au profit du preneur
A la date de la promesse synallagmatique de vente, antérieure au 18 décembre 2014, date à laquelle l'article L145-46-1 C. com. n'était pas applicable, le preneur n'était titulaire d'aucun droit légal de préférence, et l'erreur du notaire lui ayant procédé à une notification destinée à purger ledit droit n'a pas pu lui ouvrir un tel droit.
Rejet en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 29 février 2024, n°22-24.381
Le droit de préférence du preneur n'est pas applicable à la vente amiable sur autorisation judiciaire
Les dispositions de l'article L145-46-1 C. com. trouvant application lorsque le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, il est jugé qu'elles ne sont pas applicables aux ventes faites d'autorité de justice (3e Civ., 30 novembre 2023, n° 22-17.505).
La vente amiable sur autorisation judiciaire, donnée en application de l'article R322-15 du code des procédures civiles d'exécution, intervenant dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière est une vente faite d'autorité de justice qui n'a pas le caractère d'une vente volontaire et le preneur ne peut se prévaloir du droit de préférence prévu par l'article L145-46-1 C. com. sur le local vendu.
Rejet en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 13 juin 2024, n°23-13.728
COMPÉTENCE
Compétence du juge administratif sur l'action en indemnisation de dommages de travaux publics
La juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en indemnisation de dommages de travaux publics, alors même qu'il existe un bail commercial entre la personne publique, pour le compte de laquelle sont effectués les travaux, et la victime de ces dommages.
Le juge judiciaire doit donc déterminer indépendamment du fondement juridique invoqué si les demandes indemnitaires se rattachent à des dommages causés par des travaux publics.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 14 mars 2024, n°22-24.222 (idem 22-24.223, 22-24.224, 22-24.225, 22-24.226)
CLAUSE RÉSOLUTOIRE
Critère de la bonne foi du bailleur dans la mise en œuvre de la clause résolutoire
Même lorsque le preneur continue à se livrer à des activités autres que celles autorisées par le bail, après le délai d'un mois rappelé par le commandement visant la clause résolutoire, le juge doit rechercher si la clause résolutoire a été mise en œuvre de bonne foi par le bailleur.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n°23-10.384
Constatation du défaut de paiement à la date à laquelle le juge-commissaire statue
Le juge-commissaire, saisi par le bailleur d'une demande de constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, doit s'assurer, au jour où il statue, que des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture demeurent impayés.
Rejet en faveur du preneur
Cass. com., 12 juin 2024, n°22-24.177
SOUS-LOCATION
Sous-location irrégulière et qualité à agir du bailleur agissant en paiement des sous-loyers
Si une sous-location irrégulièrement consentie est inopposable au propriétaire, elle produit tous ses effets dans les rapports entre locataire principal et sous-locataire tant que celui-ci a la jouissance paisible des lieux (Cass. 3e civ., 7 décembre 2011, n°10-30.695, Bull. 2011, III, n° 207).
Le bailleur qui a consenti un bail commercial sur des locaux alors qu'il en était locataire et non propriétaire a qualité à agir en paiement des sous-loyers.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n°22-23.291
Critères de qualification de la sous-location
La qualification de sous-location, au sens de l'article L145-31 C. com. est exclue lorsque le locataire met à disposition de tiers les locaux loués moyennant un prix fixé globalement, qui rémunère indissociablement tant la mise à disposition des locaux que des prestations de service spécifiques recherchées par les clients.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°22-22.823
TAXE D'ENLÈVEMENT DES ORDURES MÉNAGÈRES
Mise à la charge du preneur du paiement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères
La taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du locataire d'un bail commercial qu'en vertu d'une clause claire et précise.
Il ne peut donc pas être déduit du bail qui ne vise pas, au titre des charges récupérables par la bailleresse, expressément cette taxe, mais qui stipule que la locataire remboursera à la bailleresse la totalité des charges afférentes directement ou indirectement aux locaux loués et à l'immeuble pour sa quote-part de façon que le loyer soit perçu net de toutes charges, que le preneur s'est engagé à rembourser toutes les charges, dont la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 16 mai 2024, n°22-19.830
MAINTIEN DANS LES LOCAUX
Le preneur se maintenant dans les locaux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction n'est pas occupant sans droit ni titre
Selon l'article L145-28 al. 1er C. com. un locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré et ne peut donc pas être considéré comme occupant sans droit ni titre.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 16 mai 2024, n°22-22.906
CESSION DU LOCAL LOUÉ
Effet relatif de la vente des locaux objet du bail
Selon les articles 1165 et 1376, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1743, al. 1er C. civ., les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, le bail est opposable à l'acquéreur qui en a eu connaissance avant la vente de la chose louée et celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
Ainsi, le preneur peut agir à l'encontre du bailleur originaire en restitution de paiements indus effectués au titre de loyers et charges échus antérieurement à la vente, sans que celui-ci, qui reste tenu à son égard de ses obligations personnelles antérieures à la vente, ne puisse lui opposer une clause contenue dans l'acte de vente subrogeant l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 16 mai 2024, n°22-19.922
CENTRE COMMERCIAL
Le preneur n'est pas tenu par les horaires du centre commercial contraires à la réglementation du travail de nuit
Le recours au travail de nuit devant être exceptionnel et justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, et dans la mesure où l'activité de vente de vêtements du preneur ne relève pas d'un service d'utilité sociale et que la prolongation de cette activité au-delà de 21 heures, le preneur n'est pas tenue de se conformer aux décisions de l'assemblée générale du GIE qui sont d'une valeur moindre dans l'échelle de la hiérarchie des normes.
Ainsi, le recours au travail de nuit pendant la période d'hiver en litige n'est pas indispensable au fonctionnement du preneur, ce dont il résulte qu'une période de travail de nuit différente de la période légale ne peut ni être fixée par un accord collectif organisant le recours au travail de nuit ni être autorisée par l'inspecteur du travail.
Rejet en faveur du preneur
Cass. com., 29 mai 2024, n°22-17.107
LOYER BINAIRE
Loyer binaire et demande de fixation à la valeur locative
Si les parties qui stipulent une clause de loyer variable manifestent ainsi, en principe, une volonté d'exclure une fixation judiciaire du prix du bail renouvelé à la valeur locative, il en va autrement lorsqu'elles ont exprimé une volonté commune contraire.
Dès lors, même en l'absence d'une clause expresse de recours au juge des loyers commerciaux, il appartient à celui-ci, lorsqu'il est saisi du moyen de défense au fond - consistant à s'opposer à une demande en fixation du prix du bail renouvelé à la valeur locative -, de rechercher cette volonté commune contraire, soit dans le contrat, soit dans des éléments extrinsèques
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n°22-16.447
PRESCRIPTION
Effet de la fraude sur le cours de la prescription biennale
La fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n°23-10.184
CHARGES LOCATIVES
Charges imputables au preneur et nécessité d'une stipulation expresse du bail
Le juge doit rechercher si des sommes contestées par preneur (les frais de dératisation, de désinfection, de câblage, de maintien en fonction des ascenseurs et la taxe de voirie) ont été mises à sa charge par une stipulation expresse du bail.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n°22-22.981
CONGÉ ET REFUS DE RENOUVELLEMENT
Effet rétroactif d'un arrêt d'appel infirmatif sur le bien-fondé du congé avec refus de renouvellement
À défaut de précision, le dispositif d'un arrêt d'appel infirmatif se substitue à celui de la décision de première instance exécutoire par provision, avec effet à compter de la date de la décision infirmée.
Un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction ne peut pas être considéré comme non fondé sur des motifs graves et légitimes lorsqu'un premier jugement, exécutoire par provision, ayant mis des travaux à la charge du bailleur, est ensuite infirmé.
Cassation en faveur du bailleur
Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n°23-13.044 et 23-14.903
VALEUR LOCATIVE
Incidence de la réduction de la surface de vente pour l'appréciation de la valeur locative
Lorsque les travaux d'aménagement réalisés par le preneur n'ont pas modifié la structure du bâtiment et que la configuration des locaux répond pleinement à l'activité exercée et alors même que le contrat de bail ne définit pas spécifiquement une surface de vente, le juge peut se fonder sur les caractéristiques propres du local au jour du renouvellement et prendre en considération l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public et à l'exploitation suite à ces travaux, pour fixer la valeur locative.
Rejet en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 13 juin 2024, n°23-13.613
REMISE EN ÉTAT
Défaut de remise en état et nécessité d'un préjudice
Le seul motif de l'inexécution des réparations par preneur ne peut donner lieu à la condamnation de ce dernier à défaut de constater qu'un préjudice est résulté pour le bailleur de la faute contractuelle du preneur.
Cassation en faveur du preneur
Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°22-24.502 (cassation en faveur du preneur), Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°22-21.272 (cassation en faveur du preneur) et Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°22-10.298 (rejet en faveur du preneur)
OBLIGATION DE DÉLIVRANCE
Étendue du manquement à l'obligation de délivrance comme fondement à l'exception d'inexécution
Pour considérer que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance et que, s'agissant de l'obligation principale du bailleur, le preneur a valablement opposé l'exception d'inexécution, en refusant de régler l'intégralité des loyers et de la taxe d'habitation, le juge doit rechercher, si les infiltrations alléguées ont rendu les locaux impropres à l'usage auquel ils étaient destinés.
Le juge ne peut se fonder sur un rapport d'expertise réalisé unilatéralement à la demande d'une partie que si ce rapport a été soumis à la libre discussion des parties et est corroboré par d'autres éléments de preuve. Ce n'est pas le cas de l'analyse réalisée par l'expert-comptable commis le preneur.
Cassation en faveur du bailleur