Baux commerciaux - Chronique de jurisprudence du premier semestre 2023
Le droit des baux commerciaux évolue perpétuellement à la faveur des décisions judiciaires qui apportent un éclairage particulièrement intéressant dans le cadre de la négociation et de la gestion des baux commerciaux.
Notre sélection des arrêts majeurs rendus par la Cour de cassation en matière de bail commercial pour la période du premier semestre 2023 est l’occasion de faire un point d’étape de l’actualité des baux commerciaux.
Les décisions rendues sur les thèmes classiques liés à la formation du bail commercial, ses modifications et sa résiliation sont riches d’enseignements utiles à l’actualisation des connaissances des équipes de nos clients investisseurs, gestionnaires, propriétaires et utilisateurs.
L’actualité de ce début d’année met l’accent sur des sujets éminemment pratiques tels que :
- Le droit de préférence du preneur : issu de l'article L145-46-1 C. com., celui-ci n’a pas vocation à s’appliquer en cas de vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire qui intervient sur autorisation du juge-commissaire ;
- Les questions de prescription : le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherché e; et
- Les procédures collectives : en cas de cession du droit au bail, autorisée par le juge-commissaire dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le bailleur est fondé à se prévaloir de la clause du bail prévoyant l'agrément du cessionnaire par le bailleur.
Droit de préférence du preneur
- La vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire qui intervient sur autorisation du juge-commissaire, en application de l'article L642-18 C. com., est une vente faite d'autorité de justice. Il en résulte que les dispositions de l'article L145-46-1 C. com., qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial. (Com., 8 février 2023, n°21-23.211)
- Il résulte de l'article L642-18 C. com. que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice. Dès lors, les dispositions de l'article L145-46-1 C. com., qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables, de sorte qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice du droit de préférence par un locataire commercial. (Cass. 3ème civ., 15 février 2023, n°21-16.475)
- Tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant doit être considéré comme local à usage industriel au sens de l'article L145-46-1 C. com. et se trouve par conséquent exclu de son champ d'application. (Cass. 3ème civ., 29 juin 2023, n°22-16.034)
Prescription
- L’énumération des articles 2240, 2241 et 2244 C. civ. des causes de droit commun d’interruption du délai de prescription étant limitative, le mémoire préalable, qui ne constitue pas une demande en justice au sens de l’article 2241 C. civ., n’est une cause interruptive de la prescription qu’en vertu de l’article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, selon lequel la notification du mémoire institué par l’article R145-23 C. com. interrompt la prescription. Ce texte n’instituant le mémoire préalable que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux, sa notification n’interrompt pas la prescription lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée à titre accessoire devant le juge de droit commun. (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n°21-20.009)
- L’article L145-15 C. com. réputant non écrites les clauses ayant pour but de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial. La demande de requalification d’un contrat de location-gérance en contrat de bail commercial est soumise au délai de prescription biennale (cf. art. L145-60 C. com.) courant à compter de la conclusion du contrat. (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n°21-24.394)
- L'indemnité d'occupation, due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option, trouve son origine dans l'application de l'article L145-57 C. com. et l'action en paiement de cette indemnité est, comme telle, soumise à la prescription biennale édictée par l'article L145-60 C. com. (Cass., 3ème civ., 5 février 2003, n°01-16.882).
Le bailleur n'ayant connaissance des faits lui permettant d'agir en paiement de cette indemnité, laquelle se substitue rétroactivement au loyer dû sur le fondement de l'article L145-57 C. com., qu'à compter du jour où il est informé de l'exercice par le locataire de son droit d'option, le délai de prescription biennale ne court qu'à compter de cette date.
Lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l'exercice de son droit d'option, il est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de ce même jour. (Cass. 3ème civ., 16 mars 2023, n°21-19.707)
- Le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée. (Cass. 3ème civ., 25 mai 2023, n°22-15.946)
- La demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L145-5 C. com., n'est pas soumise à prescription. (Cass. 3ème civ., 25 mai 2023, n°21-23.007)
Procédure collective
- Lorsque le locataire est mis en liquidation judiciaire après résolution du plan de redressement, le délai d’attente de trois mois qui s’impose au bailleur pour demander la résiliation de plein droit du bail court à compter du jugement ouvrant cette nouvelle procédure et pour apprécier si le bailleur a respecté ledit délai de trois mois, le juge doit se placer non à la date à laquelle il statue, mais à la date à laquelle le bailleur l'a saisi de la demande de résiliation. (Cass. 3ème civ., 18 janvier 2023, n°21-15.576)
- En cas de liquidation judiciaire, la cession du droit au bail, seule ou même incluse dans celle du fonds de commerce, autorisée par le juge-commissaire, se fait aux conditions prévues par le contrat à la date du jugement d'ouverture, à l'exception de la clause imposant au cédant des obligations solidaires avec le cessionnaire. En conséquence, le bailleur est fondé à se prévaloir de la clause du bail prévoyant l'agrément du cessionnaire par le bailleur. (Cass. 3ème civ., 19 avril 2023, n°21-20.655)
- Aucun droit propre ne peut être reconnu au débiteur dessaisi dans l'exercice d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé, devant le juge des loyers commerciaux, fondée sur l'article R145-23 C. com. (Cass., 3ème civ., 14 juin 2023, n°21-11.588)
État des lieux
- Le défaut d'état des lieux n'empêche pas le bailleur de se prévaloir des dispositions de l'article 1722 C. civ. faisant peser la charge de la preuve sur le preneur (« le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute »). (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n°21-22.311)
- La demande du bailleur visant au partage des frais d'établissement de l'état des lieux établi par l'huissier de justice mandaté par le seul bailleur et celui-ci n'ayant procédé à l'état des lieux de sortie qu'après le départ du locataire à l'expiration du délai de préavis, en dépit des sollicitations en temps utile de celui-ci, doit être rejetée. (Cass. 3ème civ., 15 février 2023, n°21-24.024)
Covid-19 et obligation de paiement du loyer
- C’est à bon droit que le juge des référés a considéré que, au regard des dispositions prises dans le cadre de la crise sanitaire, le fait d’actionner en paiement des loyers commerciaux une garantie à première demande (sûreté personnelle), constitue un trouble manifestement illicite. (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n° 22-10.648)
- L'effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public, édictée dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 C. civ.. (Cass. 3ème civ., 16 mars 2023, n°21-24.414)
Déplafonnement du loyer
- Saisie de l’appel d’un jugement du juge des loyers commerciaux une Cour d’appel ne peut statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci et n’est donc pas compétente pour statuer sur l’étalement de la hausse du loyer déplafonné. (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n°21-21.943)
Travaux et charges locatives
- Le fait que le contrat de bail détaille les éléments des provisions pour charges, dont le montant est parfaitement prévisible pour la bailleresse qui les a cependant sous évaluées et que celle-ci ne justifie pas la raison de l'augmentation exponentielle des charges et qu'elle avait tout à fait les moyens de deviner leur croissance extraordinaire puisqu'elle doit normalement procéder à leur régularisation annuelle et que le bail, s'il est très précis sur le transfert des charges, ne donne pas d'éléments d'information sur leur montant réel, et que la locataire n'avait donc pas, lorsqu'elle a contracté, une vision exacte du montant réel du loyer et charges dont elle aurait à s'acquitter alors que c'est un élément fondamental du contrat, sont des motifs tirés d'éléments postérieurs impropres à caractériser l'existence de l'erreur de la locataire lors de la conclusion du contrat. (Cass. 3ème civ., 15 février 2023, n°21-23.166)
- Il résulte des articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 1720 et 1754 C. civ. que le bailleur, à qui incombe la charge des travaux de réparations, autres que celles locatives, qui intéressent la structure et la solidité de l'immeuble loué, peut, par une clause claire et précise dont la portée doit être interprétée restrictivement, en transférer la charge au preneur.
La clause mettant à la charge du preneur une contribution aux charges des parties communes et d'utilité collective, et notamment les réparations et remplacements des équipements du centre commercial ne constitue pas une clause claire et précise mettant à la charge de la locataire les travaux de réfection de la toiture du centre commercial. (Cass. 3ème civ., 16 mars 2023, n° 21-25.107)
- En cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance, le locataire peut, d'une part, obtenir l'indemnisation des conséquences dommageables de l'inexécution par le bailleur des travaux lui incombant, d'autre part, soit obtenir l'exécution forcée en nature, soit être autorisé à faire exécuter lui-même les travaux et obtenir l'avance des sommes nécessaires à cette exécution.
Le coût des travaux de remise en état des locaux ne constitue pas un préjudice indemnisable mais une avance sur l'exécution des travaux et non une créance certaine acquise au bénéfice de la procédure de liquidation judiciaire.
Le défaut de délivrance conforme, imputable aux bailleurs, cause au locataire une perte de chance d'exploiter l'activité prévue au bail, laquelle ne peut pas être évaluée au montant du prix d'acquisition du droit au bail (préjudice sans lien avec la chance perdue de réaliser une exploitation rentable). (Cass. 3ème civ., 6 avril 2023, n°19-14.118 et 19-14.119)
- Pour autoriser la locataire à suspendre le paiement des loyers et des taxes sur une certaine période, le juge doit rechercher si les bailleurs ont exécuté les travaux de nature à mettre fin au manquement à leur obligation de délivrance. (Cass. 3ème civ., 8 juin 2023, n°21-19.608)
- Le bail faisant obligation au preneur de supporter les frais de ravalement de l'immeuble, mais ne comportant aucune stipulation concernant les travaux prescrits par l'autorité administrative, ne permet pas de mettre à la charge du preneur les travaux de ravalement prescrits par l'autorité administrative. (Cass. 3ème civ., 15 juin 2023, n°21-19.396)
Déspécialisation
- La cession du droit au bail, dans les conditions de l'article L145-51 C. com. emportant, malgré une déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail, ne prive pas les bailleurs du droit d'invoquer, au soutien de leur demande en fixation du loyer du bail renouvelé, le changement de destination intervenu au cours du bail expiré.
Il ne peut être déduit du non-exercice par les bailleurs de leur droit de rachat prioritaire ou de l'absence d'opposition en justice à la déspécialisation, leur renonciation à solliciter, lors du renouvellement du bail, le déplafonnement du loyer. (Cass. 3ème civ., 15 février 2023, n°21-25.849)
Congé et résiliation du bail
- Le congé LRAR envoyé le dernier jour du délai dans lequel la notification doit être réalisée, est régulière si elle est présentée par les services de la poste au destinataire habilité à la recevoir, peu important la date de réception par le destinataire. (Cass. 3ème civ., 16 mars 2023, n°21-22.240)
- La résiliation de plein droit du bail prévue par l'article L145-41 C. com. ne peut sanctionner qu'un manquement pour lequel la mise en œuvre de la clause résolutoire est prévue. (Cass. 3ème civ., 8 juin 2023, n°21-19.099 et 22-11.885)
- En présence d'un état des lieux indiquant que le rez-de-chaussée de l'atelier est divisé par des cloisons et qu'une partie est ouverte au public aux fins d'exposition à la vente, et montrant que l'activité d'encadrement est maintenue, et bien que le bail affecte l'annexe à l'usage d'atelier, le bailleur ne rapporte pas la preuve de manquements suffisamment graves pour justifier que le bail soit résilié. (Cass., 3ème civ., 8 juin 2023, n°22-14.491)
Indemnité d’occupation et d’éviction
- L'indemnité d'occupation statutaire, doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative déterminée selon les critères de l'article L145-33 C. com.. (Cass., 3ème civ., 8 juin 2023, n°22-11.663)
- Une instance, relative à la seule annulation d'un congé refusant le renouvellement d'un bail commercial et offrant le paiement d'une indemnité d'éviction, ne fait pas obstacle à une demande d'expertise avant tout procès destinée au recueil des éléments de preuve nécessaires à l'évaluation et à la fixation des indemnités d'éviction et d'occupation, dont le juge du fond n'a pas été saisi. (Cass. 3ème civ., 6 avril 2023, n° 22-10.475)
- La privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer. Le locataire évincé peut prétendre à une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial et, jusqu’au paiement de cette indemnité, celui-ci peut se maintenir dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré (cf. art. L145-14 et L145-28 C. com.). (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n°21-19.089)